VI
UN ACTE D’INDISCIPLINE

Sous huniers et foc, la Destinée glissait lentement sur les eaux bleues de la baie de Rio. Il faisait une chaleur torride, la brise suffisait à peine à créer un minuscule filet d’étrave. Tout l’équipage était excité à l’idée de se retrouver bientôt au mouillage.

Le plus endurci des hommes de mer n’aurait pu échapper à l’impression saisissante procurée par ce spectacle impressionnant. Ils avaient vu la terre se détacher dans les lueurs de l’aube et elle les dominait maintenant de toute sa splendeur. Bolitho n’avait encore jamais rien vu de semblable au Pain de Sucre, qui s’élevait comme un rocher gigantesque. Plus loin, entre des taches de forêt verte, se dessinaient une succession de chaînes montagneuses. On eût dit des vagues pétrifiées. Des plages blanches ourlées d’écume se nichaient entre la ville et la mer. Avec ses maisons blanches et ses tours ramassées, la ville évoquait tout sauf les rives de la Manche.

Surmontée du pavillon portugais, la première batterie se démasquait sous le vent, écrasée de soleil. Rio était une ville bien défendue et ses nombreux forts faisaient hésiter les plus entreprenants.

L’œil rivé dans sa lunette, Dumaresq examinait la ville et les bâtiments au mouillage.

— Laissez venir un brin.

— Ouest-nord-ouest, monsieur !

— Le garde-côte approche, annonça Palliser.

Dumaresq esquissa un sourire :

— Ils doivent se demander ce que nous venons diable faire dans les parages !

Bolitho décolla sa chemise de la peau. Il enviait les matelots, nus jusqu’à la ceinture, alors que les officiers devaient supporter leurs gros manteaux.

Mr Vallance, le canonnier, vérifiait les derniers préparatifs et s’assurait que tout était paré pour le salut.

Bolitho se demanda combien de paires d’yeux examinaient la frégate anglaise en ce moment : un bâtiment de guerre, que venait-il donc faire ? Avait-il des intentions pacifiques, ou bien apportait-il la nouvelle que la guerre avait éclaté en Europe ?

— Commencez le tir !

L’une après l’autre, les pièces ouvrirent le feu, dégageant un lourd nuage de fumée qui stagna au-dessus de la mer et leur cacha un moment la terre.

Le garde-côte portugais avait viré sur place. Ses grands avirons le faisaient ressembler à une araignée d’eau.

— Cet abruti veut nous montrer le chemin, nota une voix.

La dernière pièce tira et les canonniers se précipitèrent afin d’écouvillonner, puis de saisir les fûts, comme pour montrer que les intentions de la frégate étaient pacifiques.

Une silhouette agita un pavillon sur le garde-côte.

— Pas trop près, monsieur Palliser, ordonna le capitaine, ne prenons pas de risques avec ces gens-là !

Palliser s’empara de son porte-voix :

— Du monde aux bras, paré à virer !

Matelots et officiers, tout le monde se précipita à son poste.

— A rentrer les huniers !

Effrayés par la grosse voix de Palliser, les oiseaux de mer, chassés par le bruit des canons, et qui venaient tout juste de se poser, reprirent en catastrophe leur envol.

— A carguer les huniers !

— C’est bon, fit Dumaresq, mouillez.

Cédant à la pression de la barre, la Destinée vint lentement dans le vent.

— Mouillez !

Il y eut un grand plouf, l’ancre plongea dans les eaux tandis que les gabiers ferlaient les voiles dans un ensemble parfait, que semblait diriger une main invisible.

— Les embarcations à l’eau !

La Destinée rappelait sur son câble et finit par se stabiliser.

— Faites signe au garde-côte d’accoster, ordonna Dumaresq, je dois aller présenter mes respects au vice-roi, et plus tôt j’en serai débarrassé…

Il fit un petit signe de satisfaction à Gulliver et aux timoniers qui se tenaient près de la barre :

— Très belle manœuvre !

Gulliver se méfiait pourtant, ne sachant pas trop si le compliment cachait ou non un piège. Apparemment non.

— C’est ma première escale ici en tant que maître d’équipage, monsieur.

Leurs yeux se croisèrent : si la collision avec l’Héloïse avait été plus grave, ils n’auraient plus été là ni l’un ni l’autre pour en parler.

Pris par ses hommes, Bolitho n’eut guère le temps d’assister à l’arrivée des officiers portugais. Ils étaient magnifiques dans leurs uniformes chamarrés et ne paraissaient guère souffrir de la chaleur. Les maisons blanches de la ville étaient maintenant noyées dans la brume, ce qui ajoutait encore au mystère. Les embarcations locales possédaient un gréement assez semblable à celui des felouques arabes que Bolitho avait eu l’occasion d’observer sur les côtes d’Afrique.

La voix de Palliser le sortit brusquement de ses pensées :

— Faites rompre du poste de manœuvre, monsieur Bolitho. Vous allez à terre avec le capitaine.

Bolitho s’engouffra avec délice sous la dunette : il y régnait une fraîcheur de rêve.

Il faillit heurter de plein fouet le chirurgien qui remontait, extrêmement agité.

— Il faut que je voie le capitaine d’urgence, le maître du brigantin se meurt.

Bolitho traversa le carré et entra dans sa chambre minuscule, le temps de ramasser son sabre et son chapeau.

Ils savaient fort peu de chose sur le capitaine du brigantin : l’homme s’appelait Jacob Triscott, originaire du Dorset. Et comme Bulkley le lui avait fait remarquer, il n’était pas très réconfortant pour un homme de savoir qu’on vous gardait en vie pour le plaisir de vous faire pendre. Bolitho dut bien s’avouer que cette nouvelle le bouleversait. Tuer un homme en état de légitime défense, rien à dire. Mais ce délai lui semblait déloyal, à la limite de la décence.

Rhodes arriva dans le carré.

— Je suis mort, avec tous ces visiteurs, ils vont m’épuiser. Mais, fit-il en voyant la tête de Bolitho, que se passe-t-il ?

— Le capitaine de la brigantine est à l’agonie.

— Je suis au courant, fit-il avec un haussement d’épaules. C’était toi ou lui, pas la peine de chercher plus loin. Oublie tout ça, c’est le problème de notre seigneur et maître, il voulait arracher à ce salopard le maximum de renseignements avant qu’il meure. Et sans trop regarder aux moyens.

Il accompagna Bolitho jusqu’à la porte de toile et ils s’arrêtèrent un instant pour contempler la lumière aveuglante.

— Toujours pas de nouvelles, pour la montre de Jury ?

— Le capitaine m’a dit de me débrouiller, sourit amèrement Bolitho.

— Naturellement…

— J’avais espéré que cela lui était sorti de la tête, mais maintenant, il faut bien que je fasse quelque chose. Jury a déjà eu assez de malheurs comme ça.

Johns, le cuisinier personnel du capitaine, passait par là. Apercevant Bolitho, il lui dit :

— Le canot est à l’eau, monsieur, et vous feriez bien de ne pas trop traîner.

Rhodes donna à Bolitho une grande tape dans le dos.

— Notre seigneur et maître n’aimerait pas trop que tu te fasses désirer !

Comme Bolitho s’apprêtait à suivre le coq, Rhodes ajouta :

— Écoute, Dick, si tu veux que je m’occupe de cette foutue montre pendant que tu es à terre…

— Non, merci, répondit Bolitho en secouant la tête, le voleur appartient presque sûrement à ma division. S’il faut que je les fouille un par un, tous les efforts que j’ai faits pour établir un climat de confiance avec eux seront réduits à néant. Il faut que je trouve autre chose.

— J’espère simplement que ce jeune Jury ne l’a pas perdue : une chose est de perdre un objet, se le faire voler en est une autre.

Ils gagnèrent en silence la coupée tribord où la garde était rassemblée pour rendre les honneurs au capitaine.

Mais Dumaresq avait bien d’autres chats à fouetter : « Non monsieur, l’entendait-on crier au chirurgien, il ne mourra pas ! Pas tant qu’il ne m’aura pas dit tout ce qu’il sait ! »

Bulkley se tordait les mains de désespoir.

— Mais cet homme est à l’agonie, monsieur, je ne peux rien faire de plus !

Dumaresq contemplait le canot à ses ordres et la garde de fusiliers. On l’attendait à la résidence du vice-roi, il valait mieux éviter tout contretemps si jamais il avait besoin de la coopération des Portugais. Du coup, il tomba sur Palliser :

— Bon sang de bois, débrouillez-vous avec ça. Dites à cet âne de Triscott que, s’il nous fournit les détails de sa mission et de sa destination, j’écrirai à sa paroisse dans le Dorset. Avec ça, on se souviendra de lui comme d’un honnête homme. Essayez de l’impressionner en évoquant tout ce que cela représentera pour sa famille et pour ses amis.

Palliser paraissait toujours aussi incrédule.

— Mais, bon Dieu, monsieur Palliser, faites quelque chose !

Le second ne savait trop quoi dire.

— Et s’il me crache à la figure ?

— Dans ce cas, je le pendrai sur-le-champ, et nous verrons bien ce qu’en pensera sa famille !

Bulkley s’avança :

— Gardez votre calme, monsieur : cet homme est à l’agonie, il ne peut plus faire de mal à personne !

— Allez le voir et répétez-lui mot pour mot ce que je viens de vous dire, c’est un ordre ! Dites à Mr Timbrell, ajouta-t-il à l’adresse de Palliser, de disposer un palan à la grand-vergue. Si ce gaillard ne veut pas coopérer, mourant ou pas, c’est le sort que je lui prépare !

Palliser le suivit à la coupée.

— Je lui ferai signer sa déposition, monsieur. Il y aura un témoin et je vous garantis qu’il produira un document écrit.

Dumaresq eut un petit sourire.

— Voilà un homme comme je les aime. Occupez-vous de ça ! – apercevant Bolitho : Montez dans le canot, nous allons nous occuper de ce vice-roi, pas vrai ?

Après que son canot eut débordé, Dumaresq se retourna pour examiner son bâtiment. Le soleil le contraignait à plisser les yeux.

— Ce Bulkley est sans doute un excellent chirurgien, mais il est parfois trop timoré. À le voir, on croirait que nous faisons une promenade de santé, alors que nous recherchons un trésor.

Bolitho essayait de se décontracter. Le banc le brûlait, mais il essayait d’adopter un maintien aussi digne que celui de son capitaine.

Mis en confiance par ce début de confidence, il hasarda, en prenant bien garde de parler à voix basse pour ne pas être entendu des nageurs :

— Mais monsieur, ce trésor existe-t-il vraiment ?

Dumaresq serra un peu plus fort ses mains autour de la garde de son sabre, les yeux perdus sur le rivage.

— Je suis sûr qu’il est quelque part, même si je ne sais pas où. Je ne sais même pas ce qu’il en reste ni sous quelle forme. C’est la raison pour laquelle nous avons fait escale à Madère chez ce vieil ami. Mais il se passe des choses très surprenantes. Voilà pourquoi mon secrétaire a été assassiné, et pourquoi aussi l’Héloïse nous a pistés. Et à présent, ce malheureux Bulkley voudrait que je dise une prière pour ce salopard qui détient peut-être des secrets de première importance, un homme qui a manqué tuer mon troisième lieutenant ! – il se retourna pour regarder Bolitho dans les yeux : Vous êtes toujours sur la trace de la montre de Jury ?

Bolitho dut avaler sa salive – le capitaine n’avait rien oublié du tout.

— Je vais m’en occuper, monsieur, dès que possible.

— Hmm, mais ne vous en faites pas un monde. Vous êtes l’un de mes officiers. S’il y a eu crime, le coupable doit être puni, et avec la plus grande sévérité. Ces pauvres diables n’ont pas un sou à eux tous, et il n’est pas question qu’ils se fassent avoir par un voleur de bas étage. Encore que la plupart d’entre eux aient commencé leur existence ainsi !

Sans lever la voix, Dumaresq glissa à son cuisinier :

— Johns, regarde ce que tu peux faire.

Il n’en dit pas plus, mais Bolitho sentit très bien à quel point ils étaient de connivence.

Dumaresq fixait l’escalier sur le quai. On apercevait des uniformes, quelques chevaux. Une voiture aussi, en y regardant de plus près, sans doute destinée à conduire les visiteurs à la résidence.

Dumaresq soupira.

— Vous allez m’accompagner, cela vous fera une bonne expérience – et riant soudain : Après que l’Asturias eut rompu le combat, il y a trente ans, on prétend qu’il est venu faire escale à Rio. On raconte aussi que les autorités portugaises ont leur petite idée sur ce qu’il est advenu du butin. Quelques-uns parmi ceux qui nous attendent sur la jetée sont donc plus inquiets que je ne le suis en ce moment.

Le brigadier leva sa gaffe. Avirons rentrés, le canot vint mourir contre les marches.

Dumaresq avait oublié sa bonne humeur.

— Laissons les choses suivre leur cours, mais j’ai hâte de rentrer à bord pour voir si Mr Palliser aura su se montrer persuasif.

Les fusiliers de Colpoys les attendaient au garde-à-vous en haut des marches, aussi rouges que leurs uniformes. La garde portugaise, vestes blanches à parements jaunes, leur faisait face.

Dumaresq serra les mains de différents dignitaires, fit force courbettes ; on échangea des compliments qu’il fallut traduire dans les deux langues. Bolitho fut surpris de voir autant de noirs dans la foule des badauds, esclaves ou domestiques au travail dans les plantations. On était allé les chercher à des milliers de milles et, avec de la chance, ils étaient achetés par un maître à peu près humain. Dans le cas contraire, ils n’avaient guère de temps à vivre.

Dumaresq monta en voiture avec trois des Portugais, tandis que les autres montaient en selle.

Colpoys remit son sabre au fourreau et leva les yeux pour regarder la résidence du vice-roi qui se dessinait en haut d’une colline escarpée.

— Et dire qu’il va falloir qu’on se paye cette grimpette ! Je suis fusilier, bon sang, pas fantassin !

Le temps d’arriver au palais, Bolitho était trempé. Un domestique conduisit les fusiliers derrière la demeure, Bolitho et Colpoys dans une pièce haute de plafond qui ouvrait sur la mer et sur un grand jardin plein de fleurs sous les palmes.

D’autres domestiques, qui prenaient bien soin de ne jamais lever les yeux, leur apportèrent du vin et des sièges. Un énorme éventail se mit en branle au-dessus de leurs têtes.

— Dieu que ça fait du bien ! soupira Colpoys en étendant paresseusement les jambes.

Les fonctionnaires, militaires, commerçants portugais qui vivaient là se la coulaient douce, songea Bolitho en souriant. Il leur fallait certes supporter la chaleur, les fièvres et des foules de risques mortels. Mais on prétendait que la richesse de l’empire était immense : argent, pierres précieuses, métaux rares, plantations de canne, pas étonnant que des armées d’esclaves fussent nécessaires pour satisfaire aux exigences de Lisbonne.

Colpoys posa son verre et se dressa brusquement. Dumaresq avait apparemment fait ce qu’il avait à faire, le temps pour ses fusiliers de grimper la côte à pied. À voir sa tête, il était évident qu’il n’était guère satisfait du résultat.

— Nous rentrons à bord, annonça-t-il brusquement.

Les adieux eurent lieu à la résidence, cette fois-ci, et Bolitho comprit enfin que le vice-roi était absent de Rio, mais qu’il rentrerait dès que la nouvelle de l’arrivée de la Destinée lui serait parvenue.

C’est en tout cas ce que Dumaresq leur expliqua en passant devant la garde.

— Cela signifie en clair, grommela-t-il, qu’il insiste pour que j’attende son retour. Mais je ne suis pas né de la dernière pluie, Bolitho. Ces gens-là sont peut-être nos plus vieux alliés, ils n’en restent pas moins des pirates ou guère mieux. Enfin, vice-roi ou pas, dès que l’Héloïse sera là, je lève l’ancre !

» Et ramenez vos hommes, ordonna-t-il à Colpoys.

Les fusiliers se mirent en branle dans un grand nuage de poussière et Dumaresq monta en voiture.

— Venez avec moi, dit-il à Bolitho. Lorsque nous serons arrivés au quai, je veux que vous portiez un message pour moi – il tira une enveloppe de son manteau : J’ai préparé ce pli en prévoyant le pire. Le cocher vous conduira là-bas, et toute la ville sera au courant dans moins d’une heure – sourire narquois : Le vice-roi est peut-être futé, mais il n’est pas le seul !

Ils dépassèrent Colpoys et ses fusiliers en nage.

— Prenez quelqu’un avec vous – et comme Bolitho ne comprenait pas : Je veux dire, une sorte de garde du corps, si vous préférez. J’ai aperçu votre lutteur de foire dans le canot. Stockdale, je crois ? Emmenez-le.

Bolitho n’en revenait pas : comment Dumaresq pouvait-il bien se souvenir de son nom ? À bord, un homme était à l’agonie, et Palliser ne vaudrait guère mieux s’il ne parvenait pas à lui tirer les vers du nez. Il devait y avoir quelque part à Rio un homme qui avait à voir avec le trésor perdu, mais pas celui à qui était destiné le billet de Dumaresq.

Il y avait aussi un bâtiment, son équipage, la prise et des milliers de milles les attendaient, sans qu’ils soient certains de réussir. Dumaresq portait un lourd fardeau sur ses épaules. Cela en rendait la montre de Jury dérisoire.

Une grande métisse, un panier de fruits sur la tête, s’arrêta pour les regarder passer. Ses épaules nues étaient couleur de miel et elle leur fit un grand sourire.

— Joli brin de fille, nota simplement Dumaresq. Et la plus belle paire de lolos que j’aie jamais vue. Je risquerais bien quelques ennuis ultérieurs pour le plaisir de la cajoler un peu !

Bolitho ne savait trop quoi dire : il était certes habitué au langage cru des marins, mais, venant de Dumaresq, le propos lui paraissait d’une vulgarité à toute épreuve.

Dumaresq attendit que leur voiture s’arrête.

— Faites vite, j’ai l’intention de faire aiguade demain, et nous avons encore du pain sur la planche d’ici là.

Sur ces mots, il descendit l’escalier à grandes enjambées pour embarquer dans le canot.

Assis en face de Stockdale qui prenait toute la place, Bolitho indiqua au cocher l’adresse où il devait se rendre.

Dumaresq avait pensé à tout : Bolitho aurait pu se faire arrêter à tout moment, comme n’importe quel étranger. Mais les armoiries du vice-roi sur les portières valaient tous les laissez-passer.

La voiture s’arrêta devant une grande demeure entourée d’un grand mur. Apparemment, c’était l’une des plus vieilles maisons de Rio. Elle occupait le centre d’un jardin magnifique, sans compter une large allée qui menait au portail.

Un domestique noir accueillit Bolitho sans manifester la moindre surprise et le conduisit dans un grand hall circulaire. Des vasques de marbre débordant de fleurs alternaient avec des statues dans leurs niches.

Bolitho restait planté là, ne sachant trop que faire. Un autre domestique passa, raide comme la justice, et fit comme s’il ne voyait pas la lettre qu’il tenait à la main.

— Je vais leur frotter les oreilles, grogna Stockdale.

Une porte s’ouvrit sans bruit : un homme frêle, vêtu d’une culotte blanche et d’une chemise de dentelle, observait Bolitho.

— Vous appartenez à ce navire.

Bolitho n’en croyait pas ses oreilles : c’était un Anglais.

— Oui, euh, monsieur, lieutenant Richard Bolitho du bâtiment de Sa Majesté…

L’homme s’avança pour lui serrer la main.

— Mais je connais le nom de ce bâtiment, lieutenant, tout Rio est au courant.

Il le précéda dans une pièce tapissée de livres et lui offrit un siège. Un domestique invisible referma la porte derrière eux et Bolitho aperçut Stockdale, immobile là où il l’avait laissé. Le marin était paré à le protéger et à réduire la maison à un tas de briques si besoin était.

— Je m’appelle Jonathan Egmont, fit-il en souriant, mais cela ne vous dit sans doute rien. Vous êtes bien jeune pour votre grade.

Bolitho posa les mains sur les accoudoirs : un meuble massif, finement sculpté, aussi ancien que la demeure.

Une autre porte s’entrouvrit. Un domestique attendit qu’Egmont voulût bien remarquer sa présence.

— Un peu de vin, lieutenant ?

— Volontiers, monsieur, dit Bolitho qui avait la bouche horriblement sèche.

— Mettez-vous à l’aise, pendant que je lis le billet de votre capitaine.

Egmont alla s’asseoir à son bureau et découpa soigneusement le pli avec un stylet d’or. Bolitho examina la pièce : des livres et des livres au mur le sol recouvert de riches tapis. Il distinguait mal les objets dans la pénombre, encore aveuglé par le soleil. Les volets étaient tirés, et il y avait à peine assez de lumière pour seulement distinguer les traits de son hôte. Mais l’homme avait un visage intelligent, la soixantaine peut-être, encore que l’on vieillisse vite sous ces climats. Il était difficile de deviner ce qu’il faisait dans cette région et comment Dumaresq le connaissait.

Egmont reposa soigneusement la lettre et regarda Bolitho.

— Votre capitaine ne vous a parlé de rien ? Non, à voir votre expression, et j’ai eu tort de vous le demander.

— Il m’a ordonné de porter cette lettre aussi vite que possible, c’est tout ce que je sais.

— Je vois.

L’espace d’un instant, il parut incertain sur la conduite à tenir. Il se décida enfin :

— Je vais faire mon possible. Cela prendra du temps, naturellement, mais je suis sûr que votre capitaine souhaitera rester un peu, compte tenu de l’absence du vice-roi.

Bolitho ouvrit la bouche et la referma aussitôt : une porte s’ouvrait et une femme entra dans la pièce, portant un plateau.

Il se leva, honteux de sa chemise trempée et de ses cheveux plaqués par la sueur. Il n’avait jamais vu plus belle femme de sa vie.

Elle était tout de blanc vêtue et sa taille était soulignée par une ceinture dorée. Ses cheveux noirs d’ébène, comme les siens, étaient attachés sur la nuque et retombaient souplement sur des épaules soyeuses.

Elle le regardait, le détaillait même de la tête aux pieds, la tête légèrement penchée.

Egmont, qui s’était levé lui aussi, annonça :

— Je vous présente ma femme, lieutenant.

Bolitho s’inclina.

— Très honoré, madame.

Et il se tut, ne sachant que dire. Cette femme l’intimidait, il ne trouvait pas ses mots, et elle n’avait pourtant pas ouvert la bouche.

Elle posa le plateau sur une table et lui tendit la main.

— Soyez le bienvenu, lieutenant, vous pouvez me baiser la main.

Bolitho prit délicatement les doigts qu’on lui tendait : quelle douceur, quelle odeur !

Elle avait les épaules nues, et l’on devinait dans la pénombre ses yeux violets. Sa beauté était parfaite, sa voix même, excitante au plus haut point. Mais comment pouvait-elle être sa femme ? Elle était certainement beaucoup plus jeune que lui. Espagnole ou portugaise, sûrement pas anglaise. Bolitho était prêt à croire qu’elle était tombée d’une autre planète.

— Richard Bolitho, madame, finit-il par bredouiller.

Elle se recula un peu et posa un doigt mutin sur sa bouche.

— Bo-li-tho ! Je crois que je préfère vous appeler lieutenant, ce sera plus facile !

Sa longue robe balayait majestueusement le sol, elle tourna les yeux vers son mari :

— Et plus tard, je crois que je vous appellerai Richard !

— Je vais rédiger une réponse à l’attention de votre capitaine, déclara Egmont, et vous la lui porterez.

Et regardant sa femme, mais comme si elle n’était pas là :

— Je vais voir ce que je peux faire.

Son épouse se tourna vers Bolitho.

— N’hésitez pas à revenir pendant que vous serez à Rio, cette maison est la vôtre. Votre visite m’a fait réellement plaisir, ajouta-t-elle, le fixant avec intensité.

Elle se retira. Les jambes en coton, Bolitho se laissa tomber dans son fauteuil.

— J’en ai pour quelques instants, reprenez du vin si cela vous chante.

Et Egmont alla s’installer à son bureau. Lorsqu’il eut terminé, il scella soigneusement l’enveloppe à la cire.

— La mémoire est une faculté étrange, laissa-t-il enfin tomber distraitement. Je suis ici depuis des années et je ne voyage que rarement, lorsque mes affaires m’appellent. Puis un beau jour, voilà que débarque un vaisseau du roi, commandé par le fils de quelqu’un qui me fut cher. Et tout est bouleversé.

Il se tut brusquement avant de poursuivre :

— Mais vous avez certainement hâte de retourner à vos devoirs. Je vous souhaite une excellente journée, conclut-il en lui tendant le pli.

Stockdale l’attendait, interrogateur.

— Terminé, monsieur ?

Bolitho s’arrêta net en entendant une porte s’ouvrir : elle était là, muette, impassible. Sa longue robe lui faisait dans l’ombre une silhouette aussi parfaite que les statues du hall. Elle restait impassible, se contenant de le dévorer des yeux, comme si elle essayait de faire passer un message. Elle posa doucement sa main sur sa poitrine. Bolitho avait le cœur qui battait à rompre, à la seule idée que sa main aurait pu rejoindre la sienne.

La porte se referma. Avait-il rêvé ? Etait-ce l’effet du vin ?

Il jeta un coup d’œil à Stockdale : à voir sa tête, inutile d’essayer de lui en conter.

— Nous rentrons à bord, Stockdale.

Le marin le suivit et ils émergèrent à la lumière. Ce n’était pas trop tôt.

On était au crépuscule lorsque le canot poussa du quai. Pendant toute la traversée, Bolitho ne put détacher ses pensées de la dame blanche.

Rhodes l’attendait à la coupée et lui murmura rapidement :

— Dick, le premier lieutenant te cherche partout.

— Venez me voir à l’arrière.

C’était la voix impérative de Palliser, et Rhodes n’eut pas le temps d’en dire davantage.

Bolitho monta l’échelle de dunette et le salua.

— Oui, monsieur.

— Je vous ai attendu, monsieur, fit sèchement Palliser.

— Oui monsieur, mais le capitaine m’avait confié une mission.

— Et ça vous a pris tout ce temps ?

Bolitho essaya de contrôler la colère qu’il sentait monter. Quoi qu’il dît, quoi qu’il fît, Palliser n’était jamais content.

— Eh bien, monsieur, répondit-il calmement, je suis rentré à présent.

Palliser le scrutait, guettant quelque insolence.

— Durant votre absence, continua-t-il, le capitaine d’armes, agissant selon mes ordres, a fouillé les affaires de quelques hommes – il attendit une réaction de Bolitho : J’ignore quelle sorte de discipline vous tentez d’inculquer aux hommes de votre division, mais laissez-moi vous dire que vous n’y arriverez sûrement pas à coups de doubles ou de distributions de vin ! On a retrouvé la montre de Mr Jury en possession de l’un de vos gabiers volants, Murray. Alors, qu’en dites-vous ?

Bolitho le fixait, incrédule. Murray avait sauvé la vie de Jury. Sans lui, l’aspirant aurait péri sur le pont de l’Héloïse cette sombre nuit. Et si Jury ne lui avait pas jeté un sabre, Bolitho serait mort lui aussi. Tout cela était leur secret, aucun n’en avait dit mot à qui que ce soit.

Il essaya de protester.

— Murray est un excellent marin, monsieur, je n’arrive pas à croire que c’est un voleur.

— Et moi, je suis certain de ce que j’avance. Il vous reste beaucoup de choses à apprendre, monsieur Bolitho. Des gens comme Murray ne se risqueraient certainement pas à voler quelque chose à l’un de leurs camarades. Mais avec un officier ou un aspirant, c’est plus facile.

Il avait visiblement beaucoup de peine à contrôler le ton de sa voix.

— Je ne vous ai pas encore dit le pire, reprit-il. Mr Jury a eu l’impertinence insensée de prétendre qu’il avait fait cadeau de cette montre à Murray. Pourriez-vous croire une seconde, même un homme comme vous, monsieur Bolitho, une fable pareille ?

— Je crois qu’il a dit cela pour essayer de sauver Murray, monsieur. Il a sans doute eu tort, mais je le comprends très bien.

— C’est bien ce que je pensais – il s’approcha : Je vais faire en sorte que Mr Jury regagne l’Angleterre dès que nous aurons rencontré un autre bâtiment. Qu’en pensez-vous ?

— Je pense que vous agissez de manière injuste, répondit impulsivement Bolitho.

Il n’en était même plus à la colère, mais plutôt au dernier stade du désespoir. Palliser avait tenté de le provoquer, cette fois, il débordait.

— Si vous essayez de me discréditer à travers Mr Jury, ajouta-t-il, vous avez gagné. Mais même dans ce cas, sachant qu’il n’a plus de famille et qu’il est prêt à se consacrer corps et âme à la marine, votre attitude est condamnable ! Et si j’étais à votre place, monsieur, j’aurais honte de moi !

Palliser le fixait comme s’il venait de recevoir un coup de poing.

— Que dites-vous ?

Une frêle silhouette sortit de l’ombre. C’était Macmillan, le cuisinier du capitaine.

— Vous d’mande bien pardon, messieurs, mais le capitaine aimerait vous voir immédiatement dans sa chambre.

Et il s’éclipsa comme s’il craignait de prendre un mauvais coup dans l’algarade.

Dumaresq se tenait au milieu de sa chambre, jambes écartées, les poings campés sur les hanches.

— Je ne veux pas vous entendre hurler sur la dunette comme des mégères, fit-il en regardant ses deux officiers. Mais bon sang, qu’est-ce qui vous arrive ?

Palliser, tout pâle, semblait très affecté.

— Si vous aviez entendu ce que m’a dit Mr Bolitho, monsieur…

— Entendu ? Entendu quoi au juste ? Mais tout le bâtiment vous a entendus ! s’écria Dumaresq, tendant le poing vers le ciel. Comment osez-vous, fit-il en s’adressant à Bolitho, faire preuve d’insubordination envers le premier lieutenant ? Vous lui devez obéissance, sans hésitation ni murmure. La discipline est capitale, sans quoi ce bâtiment deviendrait un ramassis. J’attends, non, j’exige que ce navire obéisse au moindre de mes ordres. Régler ce genre d’affaire en public est une pure folie, et je ne le tolérerai pas ! Que cela ne se reproduise plus, ajouta-t-il en le fixant droit dans les yeux.

Palliser tenta bien de protester :

— Je lui disais, monsieur…

Mais il se tut sous le regard glacial de Dumaresq.

— Vous êtes mon premier lieutenant et je vous soutiendrai dans tout ce que vous accomplirez sous mes ordres. Mais vous n’êtes pas autorisé pour autant à vous passer les nerfs sur un jeune officier qui ne peut pas lutter à armes égales. Vous êtes un officier expérimenté et de grande valeur, alors que Mr Bolitho vient d’embarquer. Il est comme Mr Jury : il ne connaît de la mer que ce qu’il a appris depuis notre appareillage. En êtes-vous d’accord ?

Palliser déglutit difficilement. Sa tête courbée sous les barrots lui donnait l’air d’un orant.

— Oui, monsieur.

— Parfait, voilà au moins un point sur lequel nous nous comprenons.

Dumaresq s’approcha de la fenêtre pour contempler les lumières qui jouaient sur l’eau.

— Vous allez poursuivre votre enquête, monsieur Palliser. Je ne souhaite pas qu’un gabier de la capacité de ce Murray soit inquiété s’il est innocent. Mais je ne veux pas non plus qu’il échappe au châtiment s’il est coupable. Tout le bord sait ce qui s’est passé. S’il s’en tire uniquement parce que nous aurons été incapables de mettre au jour la vérité, nous ne pourrons plus jamais tenir les vrais voleurs et les fauteurs de troubles en puissance.

Il tendit la main à Bolitho :

— Vous avez une lettre pour moi, j’imagine – et la prenant : Débrouillez-vous avec Mr Jury. Traitez-le sévèrement, mais justement. Ce sera une épreuve décisive, autant pour vous que pour lui. Et maintenant, rompez.

En refermant la porte derrière lui, Bolitho entendit Dumaresq dire :

— La déposition que vous avez arrachée à ce Triscott est tout à fait remarquable, cela explique bien des choses.

Palliser répondit quelque chose qu’il ne comprit pas et Dumaresq répondit :

— Il manque encore une minuscule petite pièce, et le puzzle sera complet, plus rapidement que je ne pensais.

Bolitho s’éloigna. Il sentait dans son dos les yeux du factionnaire qui l’observait avec curiosité dans la pénombre. Il se dirigea vers le carré et alla s’asseoir avec difficulté, comme quelqu’un qui vient de faire une chute de cheval.

— Quelque chose à boire, monsieur ? lui demanda Poad.

Bolitho fit signe que oui sans même avoir entendu. Bulkley était assis contre une membrure.

— Le patron de l’Héloïse est-il mort ? lui demanda-t-il.

Bulkley leva lentement des yeux embrumés…

— Ouais, quelques minutes après avoir signé sa déposition – sa voix était mortellement lasse : j’espère qu’au moins ça en valait la peine.

Colpoys sortit de sa chambre et vint s’asseoir avec eux, une jambe négligemment passée par-dessus l’accoudoir.

— Vous tombez bien, je commençais à m’ennuyer considérablement : au mouillage, rien à faire… Mais, ajouta-t-il avec un petit sourire ironique en les regardant tour à tour, je vois que j’avais tort, il y a une de ces ambiances…

Bulkley poussa un long soupir.

— J’ai tout entendu ou presque. Triscott faisait une unique traversée comme patron, il avait apparemment pour consigne de nous rallier à Funchal pour savoir ce que nous fabriquions…

Il fit tomber son verre de brandy par mégarde mais ne vit apparemment pas l’alcool qui dégoulinait sur ses jambes.

— … Il devait ensuite rallier les Antilles pour remettre le navire à son propriétaire, celui qui avait financé la construction.

Il toussa, s’essuya lentement le menton avec un grand mouchoir rouge.

— Mais il voulut se montrer trop malin et tenta de nous suivre. Vous imaginez ça ? poursuivit-il en se retournant comme pour s’assurer que Dumaresq ne pouvait pas l’entendre de l’autre côté de la cloison. C’est la souris qui court après le chat ! Enfin, il a reçu son dû.

— Mais, le coupa le fusilier, qui est donc ce mystérieux acheteur de brigantins ?

Bulkley se tourna vers lui avec difficulté.

— Je vous croyais plus perspicace. Sir Piers Garrick, bien sûr ! Un ex corsaire du roi qui fait maintenant le pirate pour son propre compte !

Rhodes pénétra dans le carré.

— J’ai tout entendu, et nous aurions dû nous en douter depuis que notre seigneur et maître y a fait allusion. Quand on pense à tout ce temps, il doit bien avoir la soixantaine. Et vous croyez vraiment qu’il connaît l’existence de l’Asturias et du trésor ?

— Nous voilà bien, Stephen, le coupa Colpoys, le carabin s’est assoupi.

Poad, qui rôdait dans les parages, annonça :

— Ce soir, messieurs, nous avons du porc frais qu’un certain Mr Egmont nous a fait parvenir avec ses compliments – il ménageait ses effets : Le batelier a dit que c’était pour fêter la visite de Mr Bolitho.

L’intéressé rougit comme une tomate.

Colpoys hocha tristement la tête.

— Mon Dieu, nous sommes à peine arrivés, et je devine qu’il y a déjà une femme là-dessous !

Gulliver alla s’installer à table avec le chirurgien et le commis, et Rhodes prit Bolitho à part.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé, Dick ?

— J’ai perdu mon sang-froid – pauvre sourire : Ça peut arriver à tout le monde.

— Bien, tiens-lui tête et n’oublie pas ce que je t’ai recommandé. J’ai dit à Jury, continua-t-il après s’être assuré que personne ne les entendait, d’aller t’attendre dans la chambre des cartes, vous ne serez pas dérangés. Règle cette affaire, je suis déjà passé par là.

Il renifla soudain avec volupté :

— Oh, mais, je sens le fumet délicieux de ce cochon. Décidément, Dick, tu sais y faire !

Bolitho se dirigea vers la chambre des cartes, située immédiatement après la descente. Jury l’attendait près de la table vide. Il ruminait sans doute sa carrière irrémédiablement balayée, comme avaient été effacés tous les calculs de Gulliver.

— Je sais ce que vous avez fait, commença Bolitho. Le cas de Murray fera l’objet d’une enquête en règle, j’ai la parole du capitaine. Quant à vous, vous ne serez pas débarqué – Jury poussa un profond soupir de soulagement. Maintenant, à vous de jouer.

— Je… je ne sais que dire, monsieur.

Bolitho était bien décidé à crever l’abcès. Lui aussi, dans le temps, avait été une espèce de Jury, et il savait ce que Ton ressent quand on est confronté à un désastre imminent.

— Vous avez eu tort, reprit-il : vous avez raconté un mensonge pour sauver un homme qui est peut-être coupable – Jury essaya de protester mais il le fit taire : Vous n’aviez pas à faire pour lui ce que vous n’auriez sûrement pas fait pour un autre. Mais j’ai ma part de responsabilité : s’il ne s’était agi ni de vous ni de Murray, je dois bien admettre que je n’aurais pas réagi de la même manière.

— Je suis désolé pour le tort que j’ai pu causer. Et spécialement pour celui que je vous ai causé, monsieur.

Bolitho le regarda pour la première fois dans les yeux : il semblait désespéré.

— Je sais, je sais. Nous devons tirer tous les deux la leçon de ce qui s’est passé – durcissant un peu le ton : Dans le cas contraire, nous ne serions dignes ni l’un ni l’autre de porter l’uniforme du roi. À présent, regagnez votre poste.

Jury quitta les lieux, et Bolitho attendit là plusieurs minutes le temps de se refaire une contenance.

Il avait fait ce qu’il avait à faire, même si c’était un peu tard. À l’avenir, Jury serait davantage sur ses gardes et ne ferait plus une confiance aussi aveugle aux autres. De la graine de héros, comme disait le capitaine.

Il soupira et sortit de la chambre des cartes. Rhodes leva les yeux en le voyant entrer, l’air interrogateur.

— Cela n’a pas été facile, fit Bolitho en haussant les épaules.

— Ce n’est jamais facile.

Puis Rhodes lui fit un grand sourire en plissant les narines :

— Nous sommes en retard puisque ce cochon s’est fait attendre, mais nous n’en aurons que plus d’appétit !

Bolitho prit le verre de vin que lui tendait Poad et alla s’asseoir. Rhodes avait de la chance : il vivait au jour le jour, sans jamais s’inquiéter du lendemain. C’était là la meilleure méthode pour vivre agréablement. Mais il revit soudain le visage déconfit de Jury : tout le monde n’est pas fait ainsi.

 

Le feu de l'action
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